A LA UNE
Sylvain Bromberger, un homme extraordinaire
Sylvain Bromberger, philosophe des sciences et du langage, a été reçu à l’ENS le 15 mai 2017 à l’occasion d’une journée d’études en son honneur.
Né en Belgique en 1924, vétéran de l’armée américaine durant la Seconde Guerre Mondiale, puis professeur au MIT à partir des années 1960,
Sylvain Bromberger a exercé une influence profonde sur plusieurs générations de linguistes et de philosophes, tous marqués par sa personnalité hors du
commun, sa vivacité d’esprit, mais aussi son humour et sa générosité. Paul Egré (ENS) et Robert May (UC Davis) tenaient à lui rendre un
hommage particulier lors de cette journée, conclue par la lecture de témoignages d’anciens élèves et de collègues du MIT, parmi lesquels Noam Chomsky
et Morris Halle.
Sylvain Bromberger, né en 1924, professeur émérite au sein du département de linguistique et de philosophie du MIT, est philosophe des sciences et
philosophe du langage. Il a joué un rôle de premier plan dans l’intérêt accordé par les linguistes et les philosophes des sciences
depuis les années 1970 à la sémantique des questions, notamment par son article pionnier consacré aux questions du type « pourquoi? » (« Why-questions », 1966).
Son œuvre, consacrée à la notion d’explication scientifique (« An approach to explanation », 1962), au problème de l’usage rationnel de l’ignorance dans
l’enquête scientifique (« What we don’t know when we don’t know why », 1987), à la phonologie (« The Ontology of Phonology », 1995,
parmi cinq autres articles coécrits avec Morris Halle) ou encore à l’individuation du lexique (« What are Words ? » 2011), a exercé une influence profonde
sur plusieurs générations de philosophes et de linguistes formés au MIT.
Les organisateurs du colloque, Paul Egré et Robert May, tenaient à rendre un hommage particulier à Sylvain Bromberger. Né en 1924 à Anvers au sein d’une famille juive, francophone, Sylvain Bromberger a fui le nazisme avec
sa famille en mai 1940. Ayant rejoint Paris, puis Bordeaux, sa famille a obtenu à Bayonne l’un des derniers visas accordés par le consul du Portugal Aristides de
Sousa Mendes. Arrivé à New York, Sylvain Bromberger a d’abord suivi les cours de l’Ecole Libre des Hautes Etudes et été lycéen à la George Washington High School.
En 1942, alors qu’il venait d’être admis à l’Université Columbia, Sylvain Bromberger a choisi d’être incorporé dans l’armée américaine où il a servi pendant trois
ans dans l’infanterie. En 1944-1945, il a participé à la Libération de l’Europe en combattant notamment en Allemagne. Ayant repris ses études à Columbia
après la Guerre, il a d’abord étudié la physique puis la philosophie des sciences auprès de Hans Reichenbach, Ernst Nagel et Morton White, sous la direction
duquel il a effectué sa thèse à Harvard. Professeur à Princeton, Chicago, puis au MIT à partir de 1966-67, il a formé ensuite plusieurs générations d’étudiants
au MIT, où il a notamment enseigné aux côtés de Noam Chomsky, Morris Halle, ou encore Thomas Kuhn.
Le 15 mai dernier, Sylvain Bromberger a ouvert le colloque par un riche exposé consacré à ses recherches récentes sur l’analyse des questions « pourquoi »
et leurs conditions de réponse. Son exposé a été suivi par cinq présentations de Benjamin Spector, Joëlle Proust, David Nicolas, Isabelle
Dautriche et Robert May sur des thèmes liés à ses recherches, notamment la métacognition, l’homophonie, et la notion de théorie linguistique.
Pour conclure cette journée, Robert May, qui fut étudiant de Sylvain Bromberger au MIT dans les années 1970, a lu plusieurs témoignages de
collègues et d’étudiants adressés spécialement pour l’occasion, parmi lesquels ceux de Noam Chomsky, Morris Halle, ou encore Robert Stainton. L’un des
témoignages les plus émouvants fut sans doute celui de son collègue Morris Halle (né en 1923): « La première fois que j’ai remarqué Sylvain
ce fut lorsque nous étions élèves au lycée George Washington de New York en 1940. Il se produisait dans une sorte de one-man-show. Il jouait
le rôle d’un moine français chérissant une puce nommée Eulalie qu’il gardait dans l’une de ses robes. A la fin de la scène la puce disparaissait.
Je me souviens que sa performance théâtrale, il y a près de trois quarts de siècles, fut extraordinaire. En réalité, c’est sur la base de cette
performance que 20 ans plus tard j’ai persuadé Noam de l’embaucher au MIT. Peut-être qu’avec un peu de chance il rejouera la scène pour vous
aujourd’hui. Dans ces années de lycée, beaucoup d'enfants avaient dû fuir l’Europe. Ils formaient des cliques en fonction de leur langue
d’origine. Pour Sylvain, c’était le français. Pour moi, l’allemand. Il a fallu attendre son arrivée au MIT pour que nous devenions amis. Il
arrivait du département de philosophie de Chicago où il avait été professeur. Comme moi et comme Noam, il n’est jamais reparti. »
Un autre témoignage marquant fut celui de Noam Chomsky, rappelant les promenades et conversations quotidiennes avec Sylvain Bromberger le
long de la rivière Charles qui borde le MIT : « Nos promenades furent un point culminant de la journée pendant des années, tout comme les
séminaires que nous avons co-enseignés et les nombreux moments que nous avons passés ensemble, me laissant toujours avec la même question
difficile : Pourquoi ? Cette question, j’en suis venu à me la représenter comme la question de Sylvain. Me faisant aussi comprendre que
c’est une question que nous devrions toujours poser quand nous avons franchi un obstacle dans notre enquête et que nous pensons avoir une réponse,
le temps de réaliser que nous sommes comme ces alpinistes pensant voir le sommet jusqu’au moment où l’approchant ils s’aperçoivent qu’il est toujours plus loin. »
Au terme de cette journée d’hommage, Sylvain Bromberger a confié aux organisateurs : « mon premier souvenir de Paris fut le 10 mai 1940 lorsque mon jeune frère et moi, hébergés avec nos parents rue des Rosiers à Paris chez des cousins, étions partis nous balader inconscients dans Paris pour en découvrir les merveilles, alors que les sirènes retentissaient presque sans cesse. Le soir, de retour à notre hébergement, nos parents qui n’avaient pas de nouvelles de nous depuis le matin s’étaient fait un sang d’encre, nous devions partir le plus vite possible pour Bordeaux. Je n’aurais jamais imaginé revenir à Paris un mois de mai 2017 pour un colloque en mon honneur! ».
Une partie des conférences de la journée, dont celle de Sylvain Bromberger, et l’intégralité des témoignages, seront prochainement visibles sur le site du DEC de l’ENS.
ENTRETIEN
Entretien du professeur Minoru Tsuzaki par Christian Lorenzi
Entretien du professeur Minoru Tsuzaki (Université de Kyoto) par Christian Lorenzi, chercheur au Laboratoire des Systèmes Perceptifs (équipe Audition). Minoru Tsuzaki vient de passer un mois au sein du LSP en tant que chercheur invité.
Could you please tell us about your career?
I was initially trained in psychology at Tokyo University. At the beginning, I wanted to study the psychology of perception. However, I
quickly realized that the general field of vision research was quite large, and thus decided to study auditory perception instead. I
investigated the perception of frequency sweeps at the very beginning, until my Master degree. Next, I then took a position at Nigata University
where I started working on music perception. I moved back to Tokyo University where I worked for three years. I then decided to take part
in the ATR project (Advanced Telecommunication Research labs) in Kyoto, where I worked on phonemic categorical perception in the Visual
and Auditory Perception group, as well as in the Human information processing lab. In 1995, I started collaborating with Prof Roy D
Patterson at the Applied Psychology Unit (MRC) in Cambridge (UK). I visited him at that time and became more and more interested
in auditory models, but also in the “fine-grain” vocoders and speech-synthesis techniques that were developed at ATR at that time. In 2004,
I finally moved to the Kyoto City University of Arts where I was appointed as Professor at the Faculty of Music in 2009 and where I now
teach musical acoustics and musical psychology. My current research mostly deals with the auditory perception of pitch.
Why is it important to study the auditory perception of "pitch"?
Pitch is a distinctive feature of sounds, that has been studied by auditory scientists for more than a century. Pitch is an auditory feature conveyed by a periodic sequence of acoustic events, such as glottal pulses, which role is - I believe - to specify the communication channel we should focus on. Pitch is encoded by a spatial (also called “place” or “tonotopic”) code in the auditory system, and by a purely temporal code via patterns of neural phase locking in auditory neurons.
You have found interesting effects of age on absolute pitch perception. Could you tell us more about this?
"Absolute pitch" refers to the ability of some people to specify the key (A, B, etc.) of a single musical note when listening to it, even without any musical context. As far I know, the number of absolute pitch possessors is relatively small in European countries. In contrast, more people seem to have absolute pitch in Japan. Amongst a sample of 65 students at my University, more than half are absolute pitch possessors. The origin of absolute pitch is still a matter of debate. In my opinion, it may have to do with musical teaching and early auditory experience.
The sense of absolute pitch was found to shift in elderly people by one or two semi tones. In other words, musical notes are heard with a higher pitch when you age! This is quite mysterious because neural activity (at least, neural timing in the early auditory system) should not change with age. How could we model this ?
Let us first assume that some form of "internal reference" is used by the central auditory system to compute pitch and this internal reference corresponds to a given oscillatory period (e.g., 2.27 ms = 1/440) within a specific neural circuit. Thanks to musical training, certain people ("absolute pitch possessors") may become able to relate this oscillatory period to a given pitch label (e.g., A4). If we assume that for some reason, aging lengthens the period of that reference oscillation (e.g., to 2.4 ms), the musical sound Ab4 whose physical periodicity is 2.4 ms will then be categorized as A4.
We are currently trying to implement this auditory model of pitch perception. We also need to find neurophysiological evidence for such a change in internal reference with aging….It may be the case that this change corresponds to a rather general phenomenon that may affect other aspects of hearing. I hope this approach will provide useful clues to better understand some effects of aging on auditory perception that are not measured by simple audiometric tests in the clinic.
Minoru Tsuzaki's website
Christian Lorenzi's website
NOUVELLE EQUIPE
"Cognitive Machine Learning" (CoML), nouvelle équipe INRIA
Le centre parisien de l'INRIA a créé une nouvelle équipe "Cognitive Machine Learning" (CoML) au sein du LSCP, dirigée par Emmanuel Dupoux. La création de CoML renforce les liens et interactions entre le DEC et les équipes de l’INRIA en machine learning, notamment les équipes SIERRA, WILLOW et ALMANACH. CoML aura également des liens avec les programmes Data Science et Quantitative Biology de l’ENS-PSL.
Les algorithmes d'apprentissage automatiques inspirés du cerveau appliqués à des jeux de données massives ont obtenu récemment des performances spectaculaires qui approchent ou dépassent celles des humains dans un certain nombre de tâches (e.g., le jeu de go). Il existe néanmoins de nombreux domaines ou même les nourissons humains surpassent les machines: l'apprentissage non supervisé du langage, le raisonnement de sens commun et plus généralement la flexibilité cognitive (la capacité à réutiliser des connaissances d'une tâche à l'autre).
Le but de l'équipe CoML est de faire de l'ingénierie inverse de ces capacités humaines, c'est-à-dire d'élaborer des algorithmes effectifs qui puissent reproduire certains de ces capacités humaine de traitement, d'étudier leurs propriétés mathématiques et algorithmiques, et de tester leur validité empirique en tant que modèles de la cognition humaines telle que mesurée grâces aux méthodes comportementales et neurologiques. Les résultats escomptés sont d'une part des algorithmes d'apprentissage automatique plus adaptables et plus fiables, et d'autre part, des modèles quantitatifs des processus cognitifs qui permettent de prédire les données du développement ou du traitement humain.
Les activités de l'équipe sont centrées sur la parole, le langage et le raisonnement. Elle participera à la construction de ressources ouvertes aux communautés des sciences cognitives et au machine learning (benchmarks permettant la comparaison humain/machine --www.zerospeech.com, capture et analyse de données développementales en milieu naturel -- www.darcle.org).
Voir le site de l'équipe CoML
MEDIAS
De l'enfance à l'âge adulte, quels sont les facteurs personnels qui orientent le choix politique?
Coralie Chevallier (LNC/ESC) était l'invitée de Votre santé m'intéresse
sur BFM Business le 1er juin...
Cliquer sur l'image pour voir la vidéo
...et sur France Inter dans l'émission Carnet de santé le 27 mai dernier. Pour réécouter l'émission cliquer ici
L'humain, espèce morale coopérative
Nicolas Baumard (IJN/ESC) fait partie des trois nominés de l’édition 2017 du Prix du meilleur jeune économiste, dont le lauréat est Antoine Bozio. Dans un entretien paru dans Le Monde en mai dernier,
il revient sur son travail.
Lire l'entretien