A LA UNE
Daydreaming, un jeu pour explorer les secrets de la pensée
La pensée humaine est aussi riche que mystérieuse. Elle se plonge dans des romans pendant des heures, et parfois, au contraire, divague sur des paragraphes entiers,
que nos yeux lisent sans y rien comprendre, pendant que nous ignorons nous-même que nous pensons à autre chose.
La littérature a su décrire ces trains de pensées, mais aujourd'hui la science, elle, ne comprend toujours pas
comment les pensées s'enchainent, et quels facteurs favorisent une grande concentration ou une grande rêverie.
Comment étudier ces états subjectifs dans un cadre scientifique?
Mikaël Bastian (doctorant) et Jérôme Sackur
(chercheur) du Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique (LSCP) ont collaboré avec Vincent Adam
(UCL Londres) et Sébastien Lerique (EHESS et Centre Marc Bloch, Berlin) pour tenter justement de répondre à ces questions à l'aide des nouvelles technologies. S'inspirant de jeux tels que Foldit, ou the Great Brain Experiment, et y mêlant des outils de laboratoire - questionnaires standardisés, "sondage aléatoire des pensées" - ils ont développé une application mobile sur android: Daydreaming. Ils nous expliquent de quoi il s'agit.
Pouvez-vous vous présenter?
Nous sommes une équipe de quatre chercheurs français: Mikaël Bastian (ENS), Vincent Adam (UCL, Londres), Sébastien Lerique (EHESS et Centre Marc Bloch, Berlin) et Jérôme Sackur (ENS). Le projet s’inscrit dans le cadre de la thèse sur la concentration et la distraction de Mikaël Bastian, encadrée par Jérôme Sackur. Vincent Adam et Sébastien Lerique ont, dans leur temps libre, fait l’imposant travail technique lié à l’application – développement, collecte, stockage et extraction des résultats. L’équipe a aussi embauché un designer, Gislain Delaire, pour créer l’ambiance visuelle originale de l’application, et ce grâce au soutien du projet Sciences en Poche et de l’Institut des Systèmes Complexes, coordonnés par David Chavalarias.
De gauche à droite: M. Bastian, V. Adam, J. Sackur, S. lerique
Daydreaming est une application mobile sur Android. Pouvez-vous nous presenter Daydreaming?
Pour l’utilisateur, Daydreaming est avant tout un outil de quantification de soi (“quantified self”). De temps en temps, une notification apparaît, et on doit alors répondre à quelques questions sur son état de concentration. En plus, pendant les premiers jours après l’installation, l’utilisateur répond à des questions sur sa personnalité, et chaque jour, on a une série de questions sur la qualité de son sommeil ou encore sur la diversité des activités pendant son temps libre. Le but est de consulter ces données de manière synthétique et d’en apprendre plus sur soi-même.
Mais ce n’est pas tout. Daydreaming vise à révéler des schémas de pensée auxquels les gens n’ont pas forcément accès. Nous nous racontons beaucoup de choses sur nous-mêmes, et certaines de ces choses sont fausses. Par exemple, 75% des gens croient qu’ils rêvassent plus que les autres, ce qui signifie qu’on a tendance à surestimer nos difficultés à nous concentrer.
Pour avoir accès à nos schémas de pensée réels, l’application utilise le sondage aléatoire d’expérience (de l’anglais “experience sampling”). Si on vous demande une dizaine de fois par jour pendant plusieurs jours, sans que vous puissiez anticiper ces questions, si vous êtes concentré sur ce que vous faites, on pourra savoir si effectivement vous êtes particulièrement distraits ou non. Cette méthode a beaucoup été utilisée et a donné des résultats surprenants, les gens ne se rendant pas compte que ce qu’ils retiennent d’eux-mêmes est particulièrement biaisé par quelques rares évènements saillants. Evidemment, il faut une certaine quantité de données pour que l’ensemble fasse sens. Les résultats sont donc seulement accessibles après 30 jours de participation et les utilisateurs sont encouragés à continuer à utiliser l’application après.
Car il ne faut pas l’oublier, le but est, pour nous chercheurs, de collecter des données dans le cadre d’un projet de recherche. Ces 30 jours correspondent à la durée de l’expérience et le sondage aléatoire sert aussi à mieux comprendre le contexte dans lequel les utilisateurs se trouvent. Nous espérons ainsi identifier les facteurs mentaux (par exemple: la fatigue) et environnementaux (ex: l’heure de la journée) ayant des effets sur la nature de nos pensées, facteurs que nous n’aurions pas pu identifier autrement qu’avec une app sur smartphone --- ou au moyen d’un beeper construit exprès.
Dans quel contexte est né ce projet? Comment avez-vous travaillé au développement de cette application?
Ce projet est né de la rencontre d’une envie de défi technique: développer une application mobile à but scientifique exploitant les nouvelles
possibilités qu’apportent les smartphones (plus de mesures, d’utilisateurs, immersion dans le quotidien, étude longitudinale)
avec un projet scientifique dont les besoins correspondaient exactement à ces possibilités. Vincent et Sébastien ont donc relevé le
défi technique et Mikaël et Jérôme ont soulevé les questions scientifiques auxquelles l’application vise à répondre.
Aussi ce projet a été développé avec la conviction que les scientifiques devaient s’approprier les compétences nécessaires à sa réalisation
plutôt que les externaliser. Dans cette optique nous partageons le code de cette application pour abaisser le coût d’entrée pour quiconque
souhaiterait se lancer dans un projet similaire, dont la composante technique peut être rédhibitoire.
Quels sont les objectifs ?
Les objectifs sont de répondre à de nombreuses questions scientifiques encore irrésolues. On dit beaucoup de choses sur les bienfaits du sport, de la méditation, ou au contraire les méfaits des jeux vidéo sur la concentration, mais les données sont peu nombreuses. Et faire de la musique, jouer aux échecs ont-ils un quelconque impact? De même, les contraintes spatio-temporelles (jour de la semaine, lieu où on se trouve, etc.) pourraient avoir des effets encore sous-estimés. Aussi connait-on mal les cycles de l’attention: que se passe-t-il si l’utilisateur est sondé 10 minutes après une première sonde ? Deux heures après? Dernier exemple – mais les questions sont nombreuses – y-a-t-il une conséquence quantifiable au fait de réfléchir tous les jours à soi-même en utilisant l’application pendant un mois?
Daydreaming a été développée avec l’aide de “Science en poche”, projet financé par la Ville de Paris. Pouvez-vous nous présenter “Science en poche” ? Comment s’est passée cette collaboration ?
Le projet ‘Science en poche’ est très lié à Daydreaming. Il a été initié dans le cadre d’une collaboration entre les développeurs de l’application et David Chavalarias,
directeur de l’Institut des Systèmes Complexes autour d’un constat commun : les compétences nécessaires au développement de projets scientifiques utilisant les technologies web et mobiles sont peu présentes dans le monde académique. Une conséquence est, pour les laboratoires qui peuvent se le permettre financièrement, l’externalisation de ces compétences à des entreprises et un manque de vision à long terme. Pour promouvoir l’usage de ces outils par la communauté scientifique, ‘Science en poche’ a pour objectif de créer et de partager des outils, des méthodes et des retours d’expérience sur le développement de tels projets. Un ingénieur, Maziyar Panahi, a été embauché dans ce but. Pour commencer, quelques projets ‘vitrine’ sont développés. Daydreaming est l’un de ces projets vitrine. Winnobel, jeu visant à étudier les biais liés à la pression de publication dans le monde académique en est un autre. Ainsi, sur le long terme, le but serait de créer et d’animer une communauté d’utilisateurs autour de ces problématiques de recherche participative en utilisant l’outil mobile.
Combien de participants comptabilisez-vous depuis la sortie de l'application?
L'application est sortie il y a un peu plus d'un mois. Il y a eu depuis quelques 200 téléchargements, et une cinquantaine d'utilisateurs motivés utilisent l'application tous les jours.
L'expérience durant un mois, on a aussi déjà une trentaine des tous premiers utilisateurs qui ont pu la finir, et donc déjà quelques données préliminaires.
Et vous? Savez-vous quel type de rêveur vous êtes?
Nous avons commencé à tester l’application il y a quelques mois avec des amis et collègues et nous n’avons évidemment pas résisté à la tentation de l’utiliser sur nous-mêmes. Ainsi, Mikaël par exemple, s’est donc rendu compte qu’il était concentré plus de 70% du temps et qu’il avait un profil très verbal et auditif quand il était concentré, mais que ce profil devenait soudainement visuel quand il se mettait à rêvasser.
Application Daydreaming Experiment (Android): http://bit.ly/1x8u21a
Plus d'informations sur le site: http://daydreaming-the-app.net
Twitter: @daydreaming_app
En savoir plus sur Science en Poche
FINANCEMENTS
Sid Kouider (LSCP) vient d'obtenir un financement ERC consolidator pour le projet METAWARE (Behavioral and neural determinants of metacognition and self-awareness in human adults and infants)
Abstract:
Understanding the psychological and neurobiological determinants of consciousness is fundamental. Yet, the main trend
focusing on how the front of the brain (prefrontal cortex) interacts with the back (sensory cortex) for accessing perceptual
contents limits our understanding of the information coding schemas underlying consciousness. Here, we explore these
informational properties in adults and infants from 3 novel perspectives: sleep, self-consciousness and metacognition. First,
we will study unconscious processes in the full absence of consciousness, including self-consciousness and metacognition,
by focusing on the sleeping brain’s ability to process and learn information from its environment. While most studies on
subliminal perception measured unconscious processes intermixed with conscious ones, studying their impact in the
sleeping brain will provide new insights on a broader and more natural type of unconscious. Secondly, we will explore the
fundamental issue of whether multiple agents can share information and each other’s conscious access mechanisms,
without being aware of it. Using a novel approach called the “Reversed Perspective Paradigm”, we will study if access to
conscious content can be determined by another agent’s actions and sensory processing while the agent is lured to believe
she owns these access mechanisms. We aim at challenging the long-held conviction that consciousness is a paradigm of
privacy, by breaking it using virtual reality and objective methods from psychology. Finally, we will attempt to answer the two
fundamental issues of whether infants have a capacity for metacognition (do they know they know) and whether they
experience self-consciousness (do they feel themselves as a unitary entity). Examining these self-reflection mechanisms,
through behavioural and EEG techniques, will address the issue of whether humans in the initial state have a primitive self,
or are actually unconscious about their own person.
Deux post-doctorantes du Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique ont obtenu des bourses européennes Marie Curie
Christina Bergman pour le projet VIOLA (Variability's Influence on Language Acquisition).
Abstract:
How is early language development affected by the number of speakers infants are exposed to in their daily lives? Some
infants spend most of their waking time with only one person, while others hear many different speakers. These children
receive quite different input. Even if the very same words are spoken, these words are pronounced very differently when not
one but multiple people spoke them. Laboratory studies point to a significant effect of such variability in the context of a short
experiment: When infants hear multiple speakers, their ability to recognize the same word is hampered, whereas learning
sounds and words improves. It remains an open question whether long-term exposure to multiple speakers in daily life helps
or hinders language acquisition, as current theories lead to opposing predictions. This project combines experimental
approaches with computational modeling. It will shed unprecedented light on how speaker variability in daily life affects
language development, a question that has substantial implications for theories of language acquisition and for current
diagnostic practices.
Sho Tsuji pour le projet SCIL (The role of social cues for infant word learning).
Abstract:
Infants start knowing the meaning of some words by 6 months of age and by age two they know hundreds. The mechanisms
behind the word learning processes subtending these feats are still poorly understood. Current accounts of infants’ word
learning differ about the degree to which word learning is purely a product of increasingly sophisticated perceptual
associations, versus a process in which associative learning is implicated, but the main engine of development is
fundamentally social and timed by the infant’s grasp of the referential intentions of others when using language. The present
project will explore the mechanisms behind word learning (1) by identifying the elements that lead to a word learning
advantage in a social situation, (2) by assessing whether infants infer intention from social cues, or whether the latter merely
refocus attention, and (3) by testing how long-term word learning is modulated by social cues in naturalistic situations. By
assessing both infants (aged 6-10 months) and toddlers (aged 12-16 months), I will determine whether the mechanisms for
word learning change with age. I will be able to characterize the role of social cues in young infants’ and toddlers' word
learning for the first time by leveraging the cutting-edge technologies of gaze-contingent eye-tracking and infant-friendly
automated toys.
Christina travaillera sur son projet au sein du LSCP en collaboration avec Alex Cristia. Quant à Sho, elle intégrera dans un premier temps l'équipe de Daniel Swingley (Univ. de Pennsylvania), puis reviendra au LSCP où elle rejoindra elle aussi l'équipe d'Alex Cristia.
QUELQUES PUBLICATIONS RECENTES
Ramus, F. (2014). Should there really be a “Dyslexia debate”?. Brain, 137, 3371-3374.
Roux, P., Passerieux, C., & Ramus, F. (2015). An eyetracking investigation of intentional motion perception in schizophrenia. Journal of Psychiatry and Neuroscience, 40(2), 118-125.
Philippe Schlenker, Emmanuel Chemla, Kate Arnold, Alban Lemasson, Karim Ouattara, Sumir Keenan, Claudia Stephan, Robin Ryder, Klaus Zuberbühler. Monkey semantics: two ‘dialects’ of Campbell’s monkey alarm calls. Linguistics and Philosophy. December 2014, Volume 37, Issue 6, pp 439-501
Abstract:
We develop a formal semantic analysis of the alarm calls used by Campbell’s monkeys in the Tai forest (Ivory Coast) and on Tiwai island (Sierra Leone)—two sites that differ in the main predators that the monkeys are exposed to (eagles on Tiwai vs. eagles and leopards in Tai). Building on data discussed in Ouattara et al. (PLoS ONE 4(11):e7808, 2009a; PNAS 106(51): 22026–22031, 2009b and Arnold et al. (Population differences in wild Campbell’s monkeys alarm call use, 2013), we argue that on both sites alarm calls include the roots krak and hok, which can optionally be affixed with -oo, a kind of attenuating suffix; in addition, sentences can start with boom boom, which indicates that the context is not one of predation. In line with Arnold et al., we show that the meaning of the roots is not quite the same in Tai and on Tiwai: krak often functions as a leopard alarm call in Tai, but as a general alarm call on Tiwai. We develop models based on a compositional semantics in which concatenation is interpreted as conjunction, roots have lexical meanings, -oo is an attenuating suffix, and an all-purpose alarm parameter is raised with each individual call. The first model accounts for the difference between Tai and Tiwai by way of different lexical entries for krak. The second model gives the same underspecified entry to krak in both locations (= general alarm call), but it makes use of a competition mechanism akin to scalar implicatures. In Tai, strengthening yields a meaning equivalent to non-aerial dangerous predator and turns out to single out leopards. On Tiwai, strengthening yields a nearly contradictory meaning due to the absence of ground predators, and only the unstrengthened meaning is used.
AGENDA
28 mars 2015
Forum des Sciences Cognitives
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30-31 mars 2015
3rd Sociophysics workshop “From opinion dynamics to voting, conflict and terrorism”
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1er avril 2015
Adrian Cussins (National University of Colombia): "Hot, Wild and Thoughtful"
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3 avril 2015
Olivier Massin: "Colours as dependent stuffs"
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7 avril 2015
Elena Pasquinelli (IJN): "The teacher's brain; what we know, what we think we know, what we don't know"
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8 avril 2015
Markus Kneer (IJN): "Why Semantic Relativists Might Have Overplayed their Hand"
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9 avril 2015
Daniela Tagliafico (FMSH, IJN): "The Normativity of the Background: A Contextualist Account of Social Facts"
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10 avril 2015
Colloqium IJN - Jonathan Phillips (Harvard University): "The psychological representation of modality"
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14 avril 2015
Colloquium du DEC - Michel Raymond
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14 avril 2015
La conscience de soi dans tous ses états: corps, action, perception
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20 avril 2015
Claire Petitmengin (Institut Mines-Télécom): "Researching the microdynamics of lived experience"
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21 avril 2015
Thomas Constant (CNAM): "Games for better decision-making"
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22 avril 2015
Tristan Thommen (IJN): "Response-dependence and the semantics of slurs"
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