A LA UNE
Etienne Koechlin, lauréat 2019 du prix Lamonica de neurologie de l'Académie de Sciences
Le prix Lamonica de neurologie / Fondation pour la recherche biomédicale PCL 2019 vient d'être décerné à Etienne Koechlin, directeur de recherche à l’Inserm et directeur du Laboratoire de neurosciences cognitives et computationnelles.
Ce prix vient couronner ses travaux d'exploration du lobe frontal humain.
Après des études à l’Ecole Polytechnique et à l’Ecole Nationale de la Statistique et de l’Administration Economique et un bref passage dans une grande entreprise publique en tant qu'économiste, réalise que son intérêt porte surtout sur la façon dont l'homme prend des décisions et exerce son libre-arbitre.
Il décide alors d’entamer des recherches sur ce sujet, fait un DEA de Sciences Cognitives puis une thèse de doctorat en Neurosciences Computationnelles.
Guidé par la volonté d'observer ce qui se passe dans le cerveau humain lorsque l'être humain fait preuve de jugement dans ses actes, il part ensuite se former aux Etats-Unis aux toutes nouvelles techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle.
A la suite de ce séjour, il obtient un poste de chargé de recherche au CNRS en 2000 dans un laboratoire INSERM où il continue ses recherches sur ce thème en associant étroitement l’imagerie cérébrale fonctionnelle, la psychologie expérimentale et la modélisation mathématique.
Après avoir reçu le prix European Young Investigator Award pour ses travaux, il devient Directeur de Recherche à l’INSERM en 2007. L’ENS lui propose au même moment de créer un nouveau laboratoire de neurosciences cognitives au sein du tout jeune Département d’Etudes Cognitives. C'est le "Prix Coup d’élan pour la recherche française" de la Fondation Bettencourt-Schueller qui va lui permettre de fonder, en 2009, le Laboratoire de Neurosciences Cognitives, laboratoire qu'il dirige toujours aujourd'hui et qui porte désormais le nom de Laboratoire de Neurosciences Cognitives et Computationnelles.
Étienne Koechlin a consacré ses activités de recherches à l'exploration du lobe frontal humain au moyen de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle.
"Quand j’ai débuté mes recherches dans les années 1990, il s’agissait d’une région encore très mal connu, une terra incognita un peu mystérieuse. Au moyen de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, j’ai donc commencé avec mes collaborateurs à explorer cette région, à étudier comment son architecture anatomique
se traduit en une architecture fonctionnelle et cognitive qui fonde nos jugements et décisions et in fine nos comportements. Nous avons pu effectuer ce passage de l’anatomie aux fonctions et aux comportements en développant des modèles mathématiques et surtout en cherchant à se poser les bonnes questions !
Ce fut un travail vraiment pionnier et audacieux donc risqué ! Mais 20 ans après, nous avons de fait réalisé des avancées considérables en proposant une cartographie anatomique, computationnelle et cognitive très complète du lobe frontal humain, qui est largement reconnu par la communauté scientifique et qui guide une grande partie des recherches actuelles dans ce domaine tant sur le plan fondamental qu’appliqué, de la clinique à l’intelligence artificielle. La faculté de jugement et de décision associée au lobe frontal est en effet particulièrement altérée dans la plupart des maladies neuropsychiatriques et l’intelligence artificielle a encore beaucoup de mal à la reproduire."
Outre l'hommage que lui rend l'Académie à travers ce prix, cela va permettre à Etienne Keochlin d'approfondir ses travaux de recherche sur la notion de décision.
"Je travaille actuellement sur la notion de créativité dans sa relation avec le jugement et l’adaptation à des situations complexes,
c’est-à-dire incertaines, changeantes et ouvertes comme nombre que nous rencontrons dans la vie de tous les jours.
Je m'intéresse aussi à la notion de décision elle-même, qui est un concept apparemment simple mais au fond très artificiel
et qu’il est difficile d’appréhender sur le plan des mécanismes neuronaux et biologiques. Le Prix me permettra d’approfondir
cette deuxième question qui touche à des aspects assez fondamentaux : comment biologiquement on passe d’une représentation
mentale ou neurale distribuée de jugement/croyances portant sur de multiples options à un comportement unique ? La question
n’est pas sans rapport sur le plan formel à la notion d’observation et de "réduction du paquet d’onde" en physique quantique,
sachant évidemment que le fonctionnement du cerveau n’a pas grand-chose à voir avec la physique quantique. Mon intuition est que,
en creusant cette question, on avancera aussi par ricochet sur la nature des troubles associées à certaines pathologies
neuropsychiatriques telles que la schizophrénie."
Propos recueillis par le service de communication de l’ENS.
Photo : S. Cassanas
PLUS D'INFO
- Site internet de l'Académie des Sciences
- Site internet du LNC2
EVÉNEMENT
Quand les sciences cognitives et le cinéma se rencontrent autour des Émotions
Les 9 et 10 décembre prochains, l'ENS accueillera des scientifiques et des professionnels du cinéma pour tenter de mieux comprendre ce que sont les émotions.
Rencontre avec trois membres de l'équipe organisatrice, Klara Kovarski, docteure en neurosciences cognitives et chercheuse auprès de la Fondation
Ophtalmologique Rothschild et de l’Integrative Neuroscience and Cognition Center, Rocco Mennella, post-doctorant au LNC2 du DEC, et Victor Chung, étudiant au Master de Sciences Cognitives de PSL.
Comment est né ce colloque ?
Nous sommes d’une part tous les trois passionnés de cinéma et de l’autre investis dans la recherche expérimentale sur les émotions. En tant que spectateurs, nous sommes fascinés par l’éventail d’émotions que peuvent susciter les films et par la maîtrise que les professionnels du cinéma ont développée afin de susciter de telles expériences. Parallèlement, en tant que chercheurs, les émotions constituent le cœur de nos recherches, ce qui nécessite de reproduire des émotions dans des conditions expérimentales pour pouvoir les étudier scientifiquement
Avec Julie Grèzes qui dirige l'équipe de cognition sociale au sein du LNC2, nous sommes donc partis du constat que les émotions sont un élément crucial au cinéma et dans les neurosciences affectives, alors que ces deux univers restent isolés l’un de l’autre. Au cours de nos discussions, l’idée a émergé d’inviter des professionnels du cinéma "chez" les scientifiques, pour privilégier un échange autour de ce sujet d’intérêt commun. Le colloque s’est imposé comme le format idéal pour organiser cette première rencontre et le financement du programme New Ideas in Social Cognition dans le cadre de l'EUR Frontiers in Cognition au sein du DEC nous a permis de concrétiser cette idée, sous la coordination de Julie Grèzes.
Notre souhait est que ce colloque initie un dialogue interdisciplinaire entre les professionnels du cinéma et les chercheurs en sciences cognitives afin de favoriser un apprentissage mutuel.
"Qu'est-ce qu'une émotion ? Aperçu du laboratoire" est le titre de votre intervention lors de ce colloque. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Lors de cette intervention, notre objectif est d’introduire le public aux sciences cognitives et en particulier aux neurosciences affectives, c’est-à-dire à la discipline au croisement des neurosciences et de la psychologie qui s’intéresse à la relation entre le système nerveux et les émotions : Qu’est-ce qu’une émotion ? Quel est le rôle des émotions ? Comment les étudier au sein du laboratoire ?
De nombreuses théories tentent de répondre à ces questions immuables, qui suscitent des débats vifs et tout à fait actuels. Si l’approche évolutionniste fait, par exemple, aujourd’hui consensus au sein de ce domaine de recherche, la définition précise d’une émotion est encore disputée. Cette présentation tentera de donner un aperçu des hypothèses et méthodes appliquées au sein d’un laboratoire de neurosciences affectives et d’introduire les principaux phénomènes qui seront abordés au cours du colloque.
Par ailleurs, la méthode scientifique contraint à simplifier ou réduire la complexité des émotions, afin de pouvoir étudier leurs aspects fondamentaux. Par conséquent, le cadre expérimental s’éloigne bien souvent des conditions naturelles dans lesquelles nous vivons quotidiennement les émotions. Justement, nous retrouvons cette complexité dans l’expérience cinématographique, ce qui suggère que les films peuvent être utilisés pour compléter notre connaissance réductionniste des émotions. Enfin, en nous appuyant sur une expérience en laboratoire réalisée cette année, nous partagerons quelques idées et pistes méthodologiques qui, nous l’espérons, intéresseront les professionnels du cinéma.
Quels sont vos présupposés concernant les techniques cinématographiques utilisées pour inviter le spectateur à vivre les émotions ?
Après avoir discuté ensemble des émotions et du cinéma, nous avons échangé de façon informelle avec des professionnels du cinéma. Ces échanges nous ont suggéré qu’il existe des points communs mais également des différences entre notre façon d’étudier les émotions et la façon dont les émotions sont définies et appréhendées par ceux qui travaillent dans l’industrie cinématographique. Pour que l’échange soit le plus équilibré possible et afin de répondre au moins en partie aux attentes du public, nous avons donc consulté des professionnels du cinéma en les invitant à formuler les questions qu’ils pourraient poser à des chercheurs spécialistes des émotions. Ces retours nous ont aidés à identifier quelques thématiques telles que : Pourquoi les réactions des spectateurs sont-elles variables ? Quels sont les effets de la répétition des émotions sur le spectateur ? Quelles sont les différences entre les émotions véhiculées par le son et par l’image ?
Nous choisissons donc d’aborder le thème des émotions au cinéma avec le moins de présupposés possibles, ce qui reflète l’esprit que nous souhaitons insuffler à cet événement : ne pas utiliser les sciences cognitives pour évaluer l’efficacité des techniques cinématographiques et formuler des "recettes" mais, plutôt, comprendre comment les techniques cinématographiques existantes interrogent et enrichissent notre connaissance actuelle des émotions.
Entretien réalisé par le service de de communication de l'ENS.
PLUS D'INFO
- Programme détaillé et inscription en ligne
- Lire l'actualité sur le site de l'ENS
FINANCEMENT
Yves Boubenec (Equipe Audition/LSP) vient de recevoir un financement SESAME de la région Ile-de-France pour le projet scientifique PSL-fUS, projet d'acquisition d'un équipement
de neuroimagerie fonctionnelle UltraSon dont l'implantation est prévue sur la plateforme Neuro du Laboratoire des Systèmes Perceptifs. Ce matériel sera opéré par le personnel de la Plateforme Neuro et mutualisé entre trois laboratoires du DEC et trois équipes de recherche de PSL.
VIDEO
"Musical Meaning within Super Semantics" par Philippe Schlenker
Le Center for Language Music and Emotion (CLaME) à New York est un centre dans lequel sont étudiées les expériences humaines fondamentales à partir de nouvelles perspectives reliant le langage, la musique, les émotions, la mémoire, et la prise de décision. Philippe Schlenker (IJN) y a donné une conférence en octobre dernier sur la signification musicale dans la super-sémantique.
PLUS D'INFO
- Voir la vidéo
- Site internet de Philippe Schlenker
- Site internet du CLaME
MEDIAS
The smart move: we learn more by trusting than by not trusting
Hugo Mercier (IJN, Evolution and Social Cognition) explique dans le magazine digital Eon comment les sciences sociales révélent ce que nous avons à gagner en apprenant à faire confiance.
Lire l'article
La science de la conscience, cerveau et expérience subjective
Le magazine La Recherche consacre son édition du mois de décembre à la conscience. Catherine Tallon-Baudry (LNC2), y a participé à travers un article sur le "soi minimal" et un entretien sur la conscience.
En savoir plus sur l'édition du mois de décembre
Entretien avec Catherine Tallon-Baudry
QUELQUES PUBLICATIONS RECENTES
Carbajal, M.J. & Peperkamp, S. (2019). Dual language input and the impact of language separation on early lexical development. Infancy. doi:10.1111/infa.12315
Résumé :
We examined properties of the input and the environment that characterize bilingual exposure in 11‐month‐old in-
fants with a regular exposure to French and an additional language, and their possible effects on receptive vocabu-
lary size. Using a diary method, we found that a majority of the families roughly followed a one‐parent–one‐language
approach. Yet, the two languages co‐occurred to various extents within the same half‐hour both within and across
speakers. We used exploratory correlation analyses to ex- amine potential effects of the dual input on the size of
in- fants’ vocabularies. The results revealed some evidence for an impact of language separation by speakers.
Le Bars, S., Devaux, A., Nevidal, T., Chambon, V. & Pacherie, E. (2019). Agents' pivotality and reward fairness modulate sense of agency in cooperative joint action. Cognition, 195. doi:10.1016/j.cognition.2019.104117
Résumé :
The sense of agency (SoA) experienced in joint action is an essential subjective dimension of human cooperativeness, but we still know little about the specific factors that contribute to its emergence or alteration. In the present study, dyads of participants were instructed to coordinate their key presses to move a cursor up to a specific target (i.e., to achieve a common goal). We applied random deviations on the cursor's trajectory to manipulate the motor fluency of the joint action, while the agents' motor roles were either balanced (i.e., equivalent) or unbalanced (i.e., one agent contributed more than the other), making the agents more or less pivotal to the joint action. Then, the final outcomes were shared equally, fairly (i.e., reflecting individual motor contributions) or arbitrarily in an all-or-none fashion, between the co-agents. Self and joint SoA were measured through self-reports about feeling of control, that is, using judgment of (felt) control (JoC), and electrodermal activity was recorded during the whole motor task. We observed that self and joint JoC were reduced in the case of low motor fluency, pointing out the importance of sensorimotor cues for both I- and we-modes. Moreover, while self JoC was reduced in the low pivotality condition (i.e., low motor role), joint JoC was significantly enhanced when agents' roles and rewards were symmetrical (i.e. equal). Skin conductance responses to rewards were impacted by the way outcomes were shared between partners (i.e., fairly, equally or arbitrarily) but not by the individual gains, which demonstrates the sensitivity of low-level physiological reactions to external signs of fairness. Skin conductance level was also reduced in the fair context, where rewards were shared according to individual motor contributions, relative to the all-or-none context, which could mirror the feeling of effective responsibility and control over actions' outcomes.
Varnet, L., Langlet, C., Lorenzi, C., Lazard, D. S., & Micheyl, C. (2019). High-Frequency Sensorineural Hearing Loss Alters Cue-Weighting Strategies for Discriminating Stop Consonants in Noise. Trends in Hearing. https://doi.org/10.1177/2331216519886707
Résumé :
There is increasing evidence that hearing-impaired (HI) individuals do not use the same listening strategies as normal-hearing (NH) individuals, even when wearing optimally fitted hearing aids. In this perspective, better characterization of individual perceptual strategies is an important step toward designing more effective speech-processing algorithms. Here, we describe two complementary approaches for (a) revealing the acoustic cues used by a participant in a /d/-/g/ categorization task in noise and (b) measuring the relative contributions of these cues to decision. These two approaches involve natural speech recordings altered by the addition of a “bump noise.” The bumps were narrowband bursts of noise localized on the spectrotemporal locations of the acoustic cues, allowing the experimenter to manipulate the consonant percept. The cue-weighting strategies were estimated for three groups of participants: 17 NH listeners, 18 HI listeners with high-frequency loss, and 15 HI listeners with flat loss. HI participants were provided with individual frequency-dependent amplification to compensate for their hearing loss. Although all listeners relied more heavily on the high-frequency cue than on the low-frequency cue, an important variability was observed in the individual weights, mostly explained by differences in internal noise. Individuals with high-frequency loss relied slightly less heavily on the high-frequency cue relative to the low-frequency cue, compared with NH individuals, suggesting a possible influence of supra-threshold deficits on cue-weighting strategies. Altogether, these results suggest a need for individually tailored speech-in-noise processing in hearing aids, if more effective speech discriminability in noise is to be achieved.